104 CDD non requalifiés en CDI

L’ACTU DU MOMENT

104 recours à des CDD avec la même salariée : il n’y a pas lieu à requalification en CDI d’après la Cour de cassation.

Cour de cassation, civile, Chambre sociale, 14 février 2018, 16-17.966, Publié au bulletin

https://www.legifrance.gouv.fr/affichJuriJudi.do?oldAction=rechJuriJudi&idTexte=JURITEXT000036648675&fastReqId=427628403&fastPos=1

La solution peut sembler surprenante !

La jurisprudence de la Cour de cassation laissait jusqu’à présent penser que le recours systématiques aux contrats à durée déterminée avec le même salarié sur une longue période faisait présumer la réalité d’un besoin structurel de main d’œuvre. Que, par conséquent, l’employeur y avait recours pour pourvoir un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Elle en déduisait que ces contrats devaient être requalifiés en CDI (Cass. soc, 26/01/2005, n°02-45342; Cass. soc. 11/10/2006, n°05-42632, Cass. soc., 02/06/2010, n°08-44630). Il semble qu’à la lumière de la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la Cour de cassation ait infléchi sa position.

Les faits :

Une salariée est engagée en qualité d’agent de service par une association. Du 17 au 30 juin 2010, elle est embauchée en CDD en vue du remplacement d’un salarié en congé maladie. Deux contrats sont ensuite conclus du 8 au 29 juillet 2010 et du 1er au 29 août 2010 en vue de remplacements. A compter du 26 avril 2011 et jusqu’au 27 février 2014, l’association employeur conclut avec l’agent de service 104 CDD.

La salariée saisit la juridiction prud’homale d’une demande en requalification de son contrat en date du 24 avril 2011 en contrat de travail à durée indéterminée. Le jugement du CPH faisant droit à ses demandes est confirmé par la CA de Limoges.

La position de la Cour d’appel relevait d’une appréciation classique voire attendue. Car en effet, elle considère, au visa de l’article L. 1243-3, alinéa 3, du code du travail, que la mise en oeuvre de contrats à durée déterminée successifs pour remplacer des salariés absents ne peut avoir ni pour objet, ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise. La Cour d’appel avait retenu qu’une entreprise telle que l’association La Croisée des ans qui dispose d’un nombre de salariés conséquent est nécessairement confrontée à des périodes de congés, maladie, stage, maternité qui impliquent un remplacement permanent des salariés absents pour diverses causes ponctuelles. Que dès lors, les remplacements prévisibles et systématiques assurés par la salariée pendant trois années constituaient un équivalent à plein temps pour faire face à un besoin structurel de l’association La Croisée des ans. La Cour d’appel conclut alors que c’est à juste titre que le Conseil de prud’hommes a procédé à la requalification sollicitée, même si ces contrats sont formellement réguliers (cause de l’absence, nom et qualification professionnelle du salarié remplacé, durée).

Dans son pourvoi, l’employeur fait valoir que le recours récurrent à des remplacements temporaires n’induisant pas en soi, l’absence de raison objective de recourir à des CDD successifs avec une même salariée, la cour d’appel aurait violée les articles L.1242-1, L.1242-2 et L.1245-1 du Code du travail, et la clause 5 de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999, mis en œuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000.

La Cour de cassation censure la juridiction du 2d degré. Cette décision est rendue au visa des articles L.1242-1 et L;1242-2 du code du Travail, interprétés à la lumière de la position de la Cour de justice de l’Union européenne – arrêt du 26 janvier 2012, (CJUE, 26 janv. 2012, Bianca Z… c/Land Nordrhein-Westfalen, n°C-586/10), en particulier, son interprétation de la clause 5, point 1 a), de l’accord-cadre européen sur le travail à durée déterminée du 18 mars 1999, mis en œuvre par la Directive 1999/70/CE du 28 juin 2000.  En application de ce texte, le recours par l’employeur à des  remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente ne justifie pas à lui seul la requalification telle que sollicitée en l’espèce.

En effet, la clause 5, point 1 sous a), l’accord-cadre doit être interprété en ce sens que “le besoin temporaire en personnel de remplacement, prévu par une règlementation nationale telle que celle en cause au principal peut, en principe, constituer une raison objective au sens de ladite clause. Le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente voire permanente et que ces remplacements puissent également être couverts par l’embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n’implique pas l’absence d’une raison objective au sens de la clause 5, point 1 sous a), dudit accord-cadre, ni l’existence d’un abus au sens de cette clause”.

La Cour de cassation reprend la lecture que fait la Cour de justice de l’Union européenne et décide que le fait que l’employeur a recours aux CDD de remplacement de manière récurrente, voire permanente, en raison du respect de la garantie par la loi des droits pour ses salariés au bénéfice du congé lié à la maladie, à la maternité, ou au congé parental etc., ne saurait suffire à caractériser un recours systématique aux contrats à durée déterminée pour faire face à un besoin structurel de main d’oeuvre et pourvoir ainsi durablement un emploi durable lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise.

Dans une certaine mesure, cette décision n’est pas surprenante : l’article L.1244-1 autorisait déjà le recours successif aux CDD  avec le même salarié lorsque le contrat était conclu pour l’un des cas suivants : remplacement d’un salarié absent, remplacement d’un salarié dont le contrat de travail est suspendu, avec pour limite, la contrainte posée par l’article L.1242-1 du Code du travail que “quel que soit son motif, le recours “ne peut avoir ni pour objet ni pour effet de pourvoir durablement un emploi lié à l’activité normale et permanente de l’entreprise”.

Ce qui est intéressant et interpelant est que la Cour de Cassation ne semble plus voir dans le recours systématique au contrat à durée déterminée un indice du besoin de l’employeur de combler un besoin structurel de main d’œuvre et donc de recourir à ces contrats afin de pourvoir durablement à l’activité normale et permanente de l’entreprise. Le besoin structurel est dorénavant lié aux circonstances particulières de l’entreprise qui justifient le recours aux CDD.

La Cour de cassation donne encore d’autres éléments de réflexion lesquels invitent les juges à bien examiner les conditions du recours, en rappelant la position de la juridiction européenne  : … lors de l’appréciation de la question de savoir si le renouvellement des contrats ou des relations de travail à durée déterminée est justifié par une telle raison objective, les autorités des États membres, dans le cadre de leurs compétences respectives, doivent prendre en compte toutes les circonstances de la cause, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats ou des relations de travail à durée déterminée conclus dans le passé avec le même employeur” ;

Il est intéressant de noter que depuis la publication des ordonnances Macron, une convention ou un accord de branche étendu peut déroger au régime défini par le code du travail concernant notamment le nombre maximum de renouvellements possibles et les conditions de successions des CDD (Ord. n° 2017-1387, 22 sept. 2017).

Enfin, si l’on considère que c’est le besoin structurel lié aux circonstances de l’entreprise qui doit être pris en compte dans la recherche du respect par l’employeur de ses obligations, on peut se demander si les motifs, qualifiés dans cette espèce de raison objective, n’auraient pas, en définitive, pour effet de combler un besoin réel et permanent de main d’œuvre.

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